mercredi 18 novembre 2009

Argumentaire juridique lors du procès


Note concernant l’action des militants anti nucléaire le 1er juillet 2008

Le contexte juridique de ces actions


La situation en droit avant l’intervention de la loi « TSN » du 28 mai 2006.

En 1991 est adoptée la loi « Bataille » (loi n°91-1381 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs).
Elle fait suite au rapport du député M. Bataille et créé l’ANDRA.
Par amendement d’origine parlementaire, il a été prévu de « moraliser » les opérations d’importation de déchets nucléaires en France par la société COGEMA (société anonyme de droit privé au capital appartenant en majorité à l’Etat, via le CEA et devenue AREVA).

A cette époque, il était apparu en effet que cette société avait conclu de très importants contrats avec des opérateurs étrangers afin de « retraiter » du combustible nucléaire sur le site de La Hague (Manche).

Des rapports publics avaient mis en évidence notamment que plus de 500 tonnes de déchets étrangers y étaient stockés sans qu’aucune date de retour vers les Etats étrangers ne soit prévue.
Pour tenter de contenir cette dérive, le législateur votait l’article 3 qui dispose :

« le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ».


Plus précisément, cet amendement a été soutenu par le sénateur de la Manche (où sont situées les installations de La Hague) J-F Le Grand et par M. A. Pluchet qui nourrissaient un certain pessimisme quant aux conditions de retour dans leurs Etats d’origine des déchets étrangers.

M. Pluchet s’exprimait ainsi lors de la défense de l’amendement :
« … il est impératif que … les déchets repartent vers leurs pays d’origine. Cela est dit dans toutes les déclarations d’intention, cela est probablement spécifié dans les contrats signés [par la COGEMA], encore que personne n’ait pu le vérifier puisque c’est couvert par le secret industriel et commercial. M. Bataille lui-même dans son rapport a fait état du doute qui pourrait s’instaurer sur ce sujet.
« C’est pourquoi nous proposons que le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, soit interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement. Nous aurons ainsi la certitude qu’à terme ces déchets repartiront dans leur pays d’origine ».

V. extrait des débats Sénat – séance du 6 novembre 1991

Et extrait du rapport en commission – Assemblée nat. 21 nov. 1991

Cette manière de voir était approuvée par le rapporteur au Sénat, M. H. Révol qui déclarait que « ces déchets … doivent repartir dans leur pays d’origine », le ministre s’en rapportant au Sénat pour son adoption.

Ensuite, en mai 2001, dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPESCT) intitulé « Les possibilités d’entreposage à long terme de combustibles nucléaires irradiés » (Assemblée nationale, document OPESCT n° 3101), Monsieur Bataille a très précisément décrit les conditions de stockage de ces déchets sur le site de La Hague, en violation de la loi.

V. pp. 111 et s. le paragraphe 6 intitulé « Les problèmes posés par la présence en France de combustibles irradiés étrangers ».

Page 113, il est écrit précisément concernant l’article 3 de la loi, M. Bataille ayant rappelé le rôle joué par les associations pour alerter l’opinion publique à ce sujet, que :

« Ce que voulait le législateur de l’époque était pourtant fort clair : permettre la poursuite des activités de retraitement, tout en évitant que l’usine de La Hague devienne la "poubelle nucléaire" de l’Europe. »
« … cette exigence du législateur … implique que les matières nucléaires d’origine étrangère ne puissent être entreposées en France, que ce soit en amont ou en aval du retraitement, que pour un temps techniquement nécessaire au bon déroulement de cette opération. »

Le député devait décrire ensuite, p. 114, la situation des déchets stockés à La Hague de la façon suivante :
« Or, que constate-t-on actuellement ? »
« En amont, c’est-à-dire avant les opérations de retraitement, il est évident que certaines catégories de combustibles irradiés continuent à s’accumuler dans les piscines de La Hague sans que leur retraitement soit programmé … »
« … pour les rebuts de fabrication non irradiés de l’usine de Hanau ou pour les 1500 éléments de combustible à l’uranium très enrichi qui doivent venir d’Australie, aucun calendrier de retraitement n’est prévu. »
« Les contrats qui ont été passés avec les électriciens étrangers concernent le
retraitement et uniquement le retraitement. La COGEMA n’a pas à offrir de services annexes d’entreposage … »


Enfin, les passages pour le moins instructifs d’un arrêt de la Cour d’appel de Caen (chambre de l’instruction) daté du 16 septembre 2003 et rendu suite à une plainte avec constitution de partie civile d’une association mérite d’être cités.
La Cour confirme le non-lieu à poursuivre contre COGEMA aux motifs que les conditions exigées par l’incrimination de mise en danger délibérée de la vie d’autrui ne sont pas remplies : l’exposition de la population à un risque immédiat de danger mortel du fait du stockage illégal de déchets nucléaires par la COGEMA n’est pas établie.

V. extrait de l’arrêt n°269 du 16 09 2003

Par là même, il a été cependant reconnu que la COGEMA a méconnu l’article 3 de la loi.

La Cour écrit p. 14 :
« la COGEMA, en s’abstenant volontairement de mettre en œuvre les moyens dont elle dispose pour contraindre ses clients étrangers à récupérer les déchets radioactifs après leur retraitement et en conservant ces déchets, a enfreint l’obligation particulière de sécurité prévue à l’article 3 de la loi du 30 décembre 1991, devenu l’article L. 542-2 du Code de l’environnement, qui lui interdit de stocker des déchets radioactifs importés au-delà des délais techniques imposés par le retraitement »

La Cour poursuit :
« Par ailleurs, la COGEMA ne méconnaît pas qu’elle entrepose depuis de nombreuses années des déchets de haute activité sur le site de La Hague dans l’attente de leur transfert dans un centre de stockage adapté qui n’est pas encore construit.
« Ce stockage, qui ne peut plus être assimilé, compte tenu du nombre d’années écoulées, à un entreposage temporaire que la COGEMA a été autorisée à mettre en œuvre, est susceptible de constituer un dépôt de déchets radioactifs réalisé dans des conditions contraires à la loi et pouvant porter atteinte à la santé de l’homme, réprimé à l’article L. 541-46 du Code de l’environnement, dès lors qu’il est admis que ces déchets devraient être stockés dans d’autres structures plus sécurisées. »

Il est difficile d’être plus clair : la COGEMA a violé l’obligation qui lui est faite de renvoyer dans leurs pays d’origine les déchets nucléaires étrangers qu’elle a accepté de retraiter.

De son côté, Monsieur BATAILLE (arrêt, p. 6), interrogé comme témoin, devait constater que rien n’avait changé.
Soulignant à nouveau que l’article 3 de la loi doit éviter que la France ne devienne « la poubelle nucléaire du monde », l’élu poursuivait : « indiscutablement (…) il s’agissait d’ériger une obligation particulière de prudence, à savoir ne pas conserver sur le territoire national des déchets étrangers, au-delà du temps nécessaire à leur retraitement (…) et de limiter la liberté d’action et la marge de manœuvre de l’industriel COGEMA concernant la gestion des déchets étrangers ».
Il précisait « qu’il est stocké des déchets étrangers au-delà du temps strictement nécessaire à leur retraitement » et que « du côté de la COGEMA on en a conscience ».
Par ailleurs, le P-DG de la COGEMA (arrêt p. 7) reconnaissait que pas moins de 512 tonnes de déchets étrangers étaient stockés sur le site depuis une période antérieure à 1977, alors pourtant que La Hague n’accueille aucun site de stockage de déchets radioactifs à vie longue.
Le directeur de la COGEMA (page 8 de l’arrêt) admettait aussi que des « châteaux »
- c’est-à-dire des conteneurs de déchets – étaient conservés sur le site alors qu’ils étaient prêts à être expédiés en direction de l’Allemagne.
Enfin, un autre responsable de la COGEMA (même page) précisait que si les contrats avec les clients étrangers « prévoient des pénalités pécuniaires journalières dans le cas d’un non retour des déchets vers les pays d’origine (…), la COGEMA n’a jamais demandé l’application des pénalités (…) ».

C’est aussi ce que jugeait la Cour de Caen en estimant que le combustible irradié « MTR » en provenance d’Australie étant un déchet radioactif, COGEMA devait produire l’autorisation de l’Etat (ASN) de le retraiter, ce qu’elle n’a pas fait (arrêt daté du 12 avril 2005 n° 03/005112, confirmé par Cass. 3e Civ. 7 décembre 2005 COGEMA c/ Greenpeace France).

Mais cette obligation fixée par la loi en 1991 de ne stocker les déchets nucléaires importés que pendant une période strictement nécessaire à leur retraitement a été supprimée par la loi relative à la transparence et à la sûreté nucléaire de 2006.

La situation en droit après l’intervention de la loi « TSN » du 28 mai 2006.

La loi n°2006-739 du 28 juin 2006 dispose en effet à son article 8 :
« Article L542-2-1
I. - Des combustibles usés ou des déchets radioactifs ne peuvent être introduits sur le territoire national qu'à des fins de traitement, de recherche ou de transfert entre Etats étrangers.
L'introduction à des fins de traitement ne peut être autorisée que dans le cadre d'accords intergouvernementaux et qu'à la condition que les déchets radioactifs issus après traitement de ces substances ne soient pas entreposés en France au-delà d'une date fixée par ces accords. L'accord indique les périodes prévisionnelles de réception et de traitement de ces substances et, s'il y a lieu, les perspectives d'utilisation ultérieure des matières radioactives séparées lors du traitement.

Le texte de ces accords intergouvernementaux est publié au Journal officiel. »

Par là-même, cet article permet de mettre en échec toute saisine du juge pour faire sanctionner l’importation de déchets nucléaires étrangers afin de les stocker au-delà du délai techniquement nécessaire.

Il suffit qu’AREVA conclut un accord, ce qui compte c’est « la date fixée par ces accords » (et on imagine mal le producteur étranger de déchets s’opposer à une date longue de retraitement-stockage).

Peut-on par ailleurs contester le contenu de cet accord ?
Non, car ces contrats sont des contrats de droit privé insusceptibles d’être contestés devant le juge civil (Tribunal des Conflits 1er juillet 2002, préfet de la Manche c/ Manche Nature et Greenpeace France).

S’il s’agit de contester un accord entre gouvernements par ailleurs, ces actes sont insusceptibles de tout recours également (il s’agit d’« acte de gouvernement »).

Or, s’agissant précisément des déchets italiens, il est de notoriété que les délais prévus au contrat passé entre AREVA et la société SOGIN « prévoyant la réception des combustibles entre 2007 et 2015 et le retour en Italie des déchets issus du retraitement entre 2020 et 2025 ne sont pas justifiés techniquement (…) »

Il s’agit des propres déclarations de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, que l’on ne peut taxer d’anti nucléaire !

V. annexe communiqué du 18 décembre 2007

Ainsi, il est acquis que, grâce à la loi TSN de 2006, il est demeuré en droit impossible de contester le stockage de fait à La Hague par AREVA des déchets nucléaires de toute la planète avec les conséquences en terme :
- de risques sur place,
- de transport à travers toute la France.

Ce que craignaient les députés eux-mêmes, non opposés au principe du retraitement des déchets nucléaires (MM Bataille, Le Grand …), a été acquis aisément en 2006 avec une facilité déconcertante.

Il faut donc compter sur le gouvernement pour s’auto contrôler (puisque c’est l’Etat qui est actionnaire d’AREVA …).

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